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09/06/2016

> Innovations techniques, Valorisation par les contrats

Contrats de Consortium - Partie 2

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Crédits photo : pixabay
Les projets industriels les plus intéressants sont le plus souvent portés par des acteurs économiques poursuivant des buts distincts : société industrielle, laboratoire de recherche ou établissement d’enseignement supérieur ; à l’instar du projet BIOBUTTERFLY « Du pneu en butadiène d'origine fossile au pneu entièrement végétal, biobutadiène écoconçu à partir de biomasse » que nous avons déjà évoqué dans un article précédent.

En l’espèce, ce projet regroupait un industriel (Michelin, acteur industriel privé), l’Institut Français du Pétrole et des Energies Nouvelles et l’ADEME (acteurs publics).

Les montages juridiques de telles situations de recherche sont des "grappes de contrats" comprenant de manière générale, un contrat de consortium (contrat collaboratif de recherche multipartenaires), habituellement accompagné d'un contrat de bonne gouvernance du projet et divers contrats de recherche inter-universitaire quand les académiques sont invités à la table du projet ; cf. notre article précédent à ce sujet.

La rédaction de tels contrats est indispensable compte tenu du fait que les projets qu’ils organisent s’inscrivent dans la durée à l’instar du projet BIObutterfly dont le lancement est prévu pour 2018. Elle requiert les compétences de juristes spécialistes, Conseils en Propriété Industrielle ou avocats en droit de la propriété industrielle.
 

LES CONNAISSANCES ANTERIEURES

Lors de la rédaction des contrats de consortium, il sera tout à fait indispensable de définir de façon précise ce que couvre le vocable « les connaissances antérieures » car, dans la pratique, c’est la pierre d’achoppement des parties.


De manière habituelle, les connaissances antérieures des parties, couvrent tout à la fois :
  • Les connaissances que chaque Partie avait avant de contracter ;
  • Les connaissances qu’elles ont exclusivement développées en parallèle du Projet mais pendant le déroulement de ce dernier.

C’est la raison pour laquelle je préfère les dénommer «les connaissances exclusives des parties» plutôt que les « connaissances antérieures » car l’on pourrait se méprendre en croyant que ce vocable ne fait référence qu’à la première partie de la définition.

A ce titre, je rejoins l’opinion de Madame Véronique Chapuis-Thuault, Directrice juridique d’Armines qui est chargé de la gestion de la recherche de l’Ecole des Mines, quand elle écrit que ce vocable « connaissances antérieures » n’est pas suffisamment parlant.

Bien évidemment, les connaissances que chaque Partie avait avant de contracter ne posent que peu de soucis pratiques, surtout si elles sont datées ; la chronologie parlant d’elle-même.

Plus épineuse sera la question des connaissances exclusivement développées en parallèle du projet car, il est relativement habituel que le cocontractant réclame une part des droits surtout s’il est convaincu que le développement a pu être effectué grâce à ses propres connaissances antérieures… a fortiori si les connaissances exclusives sont développées dans son domaine d’activité spécifique.

Pour pallier ces difficultés, le rédacteur s’entourera de précieuses précautions.
En premier lieu, sera dressée une liste précise des connaissances exclusives des parties à la date de la signature des contrats.
En second lieu, cette liste sera mise à jour régulièrement et particulièrement avec la liste des connaissances qu’elles ont exclusivement développées en parallèle du Projet et pendant celui-ci.

Ces prévoyances auront pour effet de clarifier ce qui appartient à qui, et facilitera en quelque sorte le partage des droits à l’heure de l’organisation des protections et des copropriétés.
Il est donc recommandé de tenir une liste de ces connaissances exclusives, mise à jour régulièrement. Elle sera indispensable dans le cadre des clauses de confidentialité, des obligations de traçabilité des travaux de réalisation/contribution (cahier de laboratoire, dépôts probatoires réguliers par enveloppe Soleau ou e-soleau.fr), des obligations de non-divulgation et du contrôle des communications, et enfin, sera essentielle vis à vis des obligations de fin de contrat quel qu'en soit la raison.

En outre, cette liste des connaissances exclusives des parties, qui inventorie l’ensemble des droits, tels que les brevets, les logiciels ou les savoir-faire, sera nécessaire pour organiser les licences temporaires croisées permettant à chaque partenaire d’utiliser les connaissances exclusives des autres Parties, et ceci, dans le cadre strict du Projet.
Concrètement, il s’agit d’une «licence d’exploitation de ses connaissances antérieures à des fins de recherche».

Pour le reste, l’étendue de la licence relève de la liberté contractuelle des parties.

Quant aux droits d’auteur, cet accord sera nécessairement écrit au préalable et précisera les droits cédés, leur étendue, leur destination, le lieu et la durée de la licence, ainsi que les conditions de celle-ci, afin d’éviter toute ambiguïté dans les droits cédés, et de se conformer aux exigences de l’article L.131-3 du Code de la propriété intellectuelle.
 

LES CONNAISSANCES NOUVELLES

Comme pour les connaissances antérieures, le sort et les règles d’exploitation des connaissances nouvelles relèvent de la liberté contractuelle. Dans la pratique, c’est lorsque les connaissances nouvelles sont issues des travaux de plusieurs parties au contrat, que la délicate question de leur propriété est soulevée.

Généralement, afin de simplifier les questions de titularité, il peut être envisagé d’accorder la propriété d’une connaissance nouvelle issue des travaux de plusieurs partenaires au partenaire ayant la connaissance du domaine technique dont relève la connaissance nouvelle.

Toutefois, une telle option ne pourra être envisagée que pour les projets très structurés, où chaque partenaire a une compétence et un domaine techniques attitrés.
A ce titre, il faudra prévoir une description suffisamment fine du Projet et des domaines techniques de chaque partie.

En outre, une autre façon d’appréhender cette question, sera de prévoir la propriété des connaissances nouvelles communes aux partenaires ayant participé au développement ou à la réalisation de cette connaissance ; à l’exclusion des autres parties au contrat.

Dans ce cas, la difficulté sera de répartir les droits de propriété entre les partenaires ayant participé au développement de la connaissance nouvelle : leur prestation intellectuelle ou technique a-t-elle été essentielle dans ce développement ou est-ce plutôt un simple support ?

La clef de répartition des droits est essentielle en ce sens qu’elle a nécessairement des conséquences non négligeables comme la clef d’attribution des royalties des licences qui pourraient être concédées à des tiers sur les connaissances nouvelles.

« Par part égales » sera le choix le plus pragmatique et le plus simple en pratique mais il peut être prévu une clef de répartition au prorata des contributions de chacun, toute la difficulté étant de valoriser les prestations respectives et leur importance dans le résultat final c’est-à-dire la connaissance nouvelle.

Quel que soit le mode de distribution retenu pour les droits, les partenaires devront dans tous les cas signer un accord de propriété spécifique organisant leur copropriété (avec désignation d’un gestionnaire de la copropriété). Le mieux est de prévoir, idéalement dès la signature du contrat de consortium, les règles essentielles d’organisation de la copropriété, voire d’annexer au contrat un modèle de contrat de copropriété, qui devra être adopté par les partenaires copropriétaires.

Cela aura pour effet le temps venu, d’éviter les blocages des négociations de copropriété.
 

LE SORT DES ÉVOLUTIONS FUTURES DES CONNAISSANCES NOUVELLES

Après les connaissances antérieures et les connaissances nouvelles, il y aura lieu d’organiser la propriété des évolutions qui pourraient être apportées à une connaissance nouvelle commune, ainsi que la propriété d’une éventuelle application nouvelle.
 

LES MARQUES DU PROJET
Généralement, le contrat prévoit une clause par laquelle chaque partenaire se voit reconnaître le droit de déposer, en son nom et à ses propres frais, une marque sur les connaissances nouvelles dont il est copropriétaire. Une telle clause, cependant, ne pourra être stipulée que s’il n’existe aucun lien de concurrence entre les partenaires propriétaires ; à défaut, un accord de copropriété doit être trouvé entre eux, ce qui dans la pratique, n’est ni facile, ni jamais parfait.

Dans l’hypothèse où l’objectif du projet est la réalisation d’un produit unique, il existe des cas où le contrat précise que seul le comité de pilotage du projet sera en mesure d’enregistrer la marque sur ce produit et en son nom, en raison du lien de concurrence pouvant exister entre les partenaires.

Toutefois, cette solution ne nous semble pas parfaite, compte tenu des questions relatives à l’obligation d’usage des marques.

En effet, le comité de pilotage n’a pas pour vocation à exister indéfiniment après la terminaison du contrat de consortium ; le plus souvent, les comités liés au projet disparaîtront quelques années après le lancement du nouveau produit ou de l’innovation.

C’est la raison pour laquelle, il me semble plus envisageable de prévoir que la marque distinguant le nouveau produit issu du projet de partenariat soit protégée au nom de la société qui l’exploitera commercialement.
 
Enfin, il est préconisé d’envisager, à chaque dépôt de marque du produit, de procéder à la réservation d’un nom de domaine associé ; les partenaires ayant la possibilité de convenir contractuellement que ce nom de domaine sera leur propriété commune.

 
Pour aller plus loin :
La charte Carnot et les principes généraux de la charte de propriété intellectuelle des Instituts Carnot
http://www.instituts-carnot.eu/fr/la-charte-carnot
Projet BIOBUTTERFLY de Michelin
https://www.linkedin.com/pulse/biobutterfly-de-michelin-cecile-barrio
http://www.leprogres.fr/lyon/2016/02/07/innovation-michelin-prepare-a-lyon-le-pneu-vegetal
Projet «ACTIVE WHEEL » de Michelin:
http://gizmodo.com/5100127/michelin-develops-revolutionary-active-wheel-for-electric-cars
Les projets de partenariats de l’école polytechnique
https://www.polytechnique.edu/fr/des-partenariats-de-recherche-aux-multiples-formes#sthash.eJm4U3Sl.dpuf